Rencontre et manipulation ft. Raphael

Dorothy termina de ranger ses papiers et constata qu'elle avait encore de l'encre sur les doigts. Agacée, elle fit claquer sa langue avant de frotter un peu sans obtenir le moindre résultat. Elle devrait attendre chez elle pour pouvoir se nettoyer les mains plus en profondeur sans risquer de les abîmer. Sa gouvernante trouverait bien une chose à redire sur sa tenue et sur le fait que les jeunes filles de son âge ne devraient pas traîner dans les commissariats. Puis, elle viendrait s'occuper de ses mains, terminant par un massage à l'huile de lavande qui rendait la peau très douce et laissait toujours une délicieuse odeur. Dorothy affectionnait énormément cette gouvernante qui s'occupait parfaitement d'elle. Elle aimait sentir le chocolat chaud de l'hiver qui embaumait la maison, les décorations de Noël, sa joie de voir arriver le printemps et voir des fleurs fraîchement coupées parsemées dans toutes les pièces. Elle s'était toujours très bien occupée de Dorothy, comme si elle était sa propre fille. C'était la meilleure gouvernante et nanny que Dorothy aurait pu avoir. La jeune femme récupéra un dossier et se leva, saluant la fille avec qui elle partageait son bureau. Elle avait terminé plus tôt et elle devait se dépêcher de se rendre à son rendez vous.

En vérité, il ne s'agissait pas réellement d'un rendez vous puisque le garçon qu'elle devait rencontrer n'était pas au courant de cette rencontre. À la demande de son père, Dorothy devait se lier avec le fils Legrand afin de récolter des informations sur la compagnie de Legrand Père. Ça ne l'enchantait pas énormément mais Dorothy savait comment faire. Elle avait déjà trouvé des informations sur Raphael Legrand et ce dernier semblait être le genre très désagréable et hautain. Cependant, ce ne serait pas ce genre de choses qui arrêterait Dorothy. La jeune femme quitta le commissariat, ses papiers sous le bras. Il faisait une chaleur étouffante et elle aurait préféré aller se baigner à la rivière  plutôt que d'aller s’agglutiner à un garçon qui semblait n'aimer que lui même. Enfin, elle devait faire sa connaissance avant de se lancer dans les spéculations. La petite blonde marchait tranquillement quand enfin, Raphael pointa le bout de son nez, descendant d'une diligence. Elle se mit alors à courir, faisant comme si elle était pressée et percuta Raphael. Elle s'étala sur lui, lâchant les papiers qu'elle tenait.

« Oh mon dieu !! »

Rester enfermé à Wellsburg allait le rendre fou. Plutôt que de tourner en rond à observer les mineurs sortir noirs de suie de la mine, il préférait mettre les voiles. D’ordinaire, lorsqu’il voulait sortir, Raphael prenait l’un des trains de son père, utilisant son wagon privé. Mais bien évidemment celui-ci était en maintenance. Pas question cependant de s’avouer vaincu. Il n’avait pas le droit de prendre un cheval ? Qu’à cela ne tienne, il ferait apprêter une diligence. Et pas question de la partager. Il ne tenait pas à avoir des compagnons de voyage. Une fois, il avait accepté de prendre un voyageur lors de son trajet et il l’avait vite regretté. Ce dernier s’était montré des plus envahissants, gâchant le voyage de Raphael qui désirait juste être tranquille. Cette fois il était seul et observait le paysage défiler sous ses yeux, légèrement balloté par les cahots de la route. Le trajet jusqu’à New Haven était des plus longs en diligence. Ainsi, il finit par somnoler, confortablement installé.

A son réveil, il eut tout juste le temps de voir une pancarte de bois indiquer la direction de New Haven. Apparemment ils s’étaient bien rapprochés. Il avait bien fait de partir au petit matin pour éviter de perdre sa journée entière sur la route. C’était si ennuyeux qu’il aurait espéré se faire attaquer par des hors la loi lors du trajet. Cela aurait mis un peu de piment après tout et cela l’aurait sorti de sa monotonie. Malheureusement, rien de tel n’arriva et il termina son trajet dans le calme. Dommage qu’il n’arrivait pas à lire lorsqu’il était en diligence. Cela remuait trop pour lui et il préférait le calme et la stabilité d’un train pour ça. Il ne lui restait plus qu’à espérer que la maintenance serait bientôt terminée.

A peine fut-il descendu de la diligence qu’il fut percuté par quelqu’un. Il perdit l’équilibre et l’élan de la personne le fit tomber avec elle. Il s’étala sur le dos avec un grognement sourd, provoqué par la compression de ses poumons avec la personne qui venait de le percuter. Une pluie de feuilles s’abattit sur eux mais c’était bien là le dernier de ses soucis.  

« Plutôt que de prier Dieu, il faudrait regarder où l’on va. » répondit-il sèchement, agacé par le choc

Mais le fait qu’elle ait parlé confirma qu’il s’agissait d’une femme. C’était une chance pour elle car il était plus patient avec ces dernières, surtout lorsqu’il pouvait obtenir quelque chose d’elles. Il attendit qu’elle se bouge puis se leva et s’épousseta. Une chance, il n’y avait pas de boue où ils étaient mais il s’était tout de même sali. En remuant les épaules, il constata qu’il sentait une étrange aération au niveau du bras. La couture s’était défaite à cause de la chute et la manche pendait presque.

« Un costume à 100 dollars… » grogna t-il, dépité

Il était bon pour aller chez le couturier du coin. Ses yeux se posèrent enfin sur la personne malhabile qui lui était rentrée dedans. Une jeune  femme qui devait avoir à peu près son âge. Elle était mignonne bien qu’elle avait l’air un peu perdue.

« Vous vivez là ? Il me faut un couturier. »

@Dorothy Green

Bon, tomber sur Raphael, littéralement, n'était pas la meilleure idée qu'elle avait eu. Le jeune homme lui râlait après et n'avait pas l'air très content. Il ne daigna même pas se lever, Dorothy dut le faire d'elle même. Une fois debout, elle secoua le bas de sa robe et tenta de conserver son sourire et sa bonne humeur. Son père lui faisait vraiment faire n'importe quoi. Dorothy pinça les lèvres et ramassa ses feuilles. Occupée à les remettre dans le bon ordre, elle ne remarqua pas que Raphael avait un trou dans la veste. Elle leva les yeux vers lui alors qu'il pestait contre le prix de son costume.

« Cent dollars ?! Eh bien, vous avez du vous faire avoir si la couture s'est défaite pour si peu... »

Ce qui était assez vrai non ? Quand les gens achetaient des affaires assez chères, ils espéraient tout de même une qualité de vêtements extrêmes. Là, c'était tout de même limite qu'une simple chute défasse la couture de sa veste. Surtout que Dorothy ne pesait pas non plus bien lourde et qu'elle ne s'était attrapée à rien du tout. Raphael avait simplement servi d'amortisseur à sa chute. Quoi qu'il en soit, elle l'observa alors qu'il posait son regard sur elle, souriant à nouveau. Elle rit légèrement.

« Vous n'allez pas payer pour ça. Je peux m'en charger, je n'habite pas très loin si vous acceptez de marcher un peu... »

Dorothy ne savait pas si c'était la bonne démarche à suivre mais elle était certaine que la proposition serait alléchante pour Raphael. Une fois que la réponse fut affirmative, la jeune femme l'accompagna jusqu'à chez elle. Comme à son habitude, elle entra dans l'immense maison familiale en criant qu'elle était de retour. Elle accrocha son chapeau dans l'entrée avant de filer vers le salon.

« Installez vous, j'arrive ! Ôtez votre veste ! »

Puis, elle disparut en grimpant l'escalier, montant les marches deux par deux. Une domestique observait Raphael avant de s'enfuir rapidement. La jeune Green réapparut quelques minutes plus tard, un nécessaire à couture dans les mains. Alors qu'elle s'installait, elle demanda à ce qu'on apporte du thé pour eux puis pris la veste pour commencer à recoudre la manche.

« Je suis vraiment navrée pour cet incident. Je suis parfois un peu dans les nuages et je m'en trouve à être maladroite. »

Elle eut à peine le temps de terminer sa phrase que la manche était réparée et bien plus solide qu'avant. Elle se leva alors pour aider Raphael à enfiler sa veste et la lissa légèrement avant de cesser de le toucher.

« J'espère que pour me faire pardonner vous me ferez l'honneur de rester prendre le thé. Il y a des biscuits au citron en accompagnement. Fait par moi ! »

New Haven était une ville hupée. Pas en totalité mais en grande partie. C’était en tout cas la seule de l’Etat à être aussi civilisée. Ainsi, Raphael ne s’attendait pas à faire face à une incivilité à peine le pied posé au sol. Il comprit néanmoins rapidement que la fille qui l’avait fait tomber ne l’avait pas fait intentionnellement mais, après de courtes excuses, elle osa se permettre de faire une remarque sur son vêtement alors qu’elle venait tout juste de le tâcher. Même si elle n’avait pas forcément tort, sa façon de lui parler resta en travers de la gorge de Raphael qui se contenta d’un reniflement agacé. Sa visite commençait mal. Mais puisqu’elle était là, autant qu’elle serve enfin à quelque chose et le renseigne au lieu de rester plantée là. Tout ça était sa faute après tout.

Elle ne répondit cependant pas à sa question, cela aurait été trop simple. Au lieu de ça, elle se proposa, ce qui était assez inédit. Elle avait proposé cela naturellement, comme si c’était normal. Raphael ne savait pas dire ce qui était le plus surprenant : sa façon de se comporter ou le fait qu’elle savait coudre. Elle n’était pas habillée comme une paysanne, portant même de beaux vêtements sans pour autant se vautrer dans le luxe. Elle devait sans doute avoir des domestiques pour ce genre de tâches. Mais là, elle proposait de le faire elle-même.

« J’ai des jambes valides. » répondit-il avant de hausser un sourcil « Vous savez coudre ? »

Puisqu’il fallait de toute façon qu’il fasse recoudre sa manche, il la suivit. Au pire, il irait chez un véritable couturier après, ne s’attendant pas à un miracle. Comme il s’y était attendu, elle était riche. Ou en tout cas sa famille l’était. Pourtant son comportement laissait croire qu’elle était de nature plus modeste à la base. Pas une grande lady à première vue. Il ne fit aucun commentaire et observa le salon alors qu’elle venait de disparaitre. Il soupira puis remarqua une domestique qui disparut aussi vite que sa maitresse. Raphael resta debout, les mains dans les poches, observant le décor des lieux. Une photographie attira son regard et il reconnut le commissaire de la ville. C’était sans doute sa demeure… et donc sa fille. Il finit par retirer sa veste et la lui tendit puisqu’elle venait de réapparaitre. Au moins, elle assumait ses fautes cette fois.

« Cela pourrait vous jouer un mauvais tour, un jour. Imaginez si vous tomber sur un bandit… »

Il supposait qu’elle était protégée, en tant que fille du commissaire. Pourtant, il ne voyait aucun garde du corps ou garde tout court dans les environs. La fille se leva et lui rendit sa veste, l’aidant même. Raphael fut surpris de constater qu’elle avait déjà terminé, s’attendant à un travail bâclé.

« Pourquoi ne l’avez-vous pas fait faire par vos domestiques. Ne sont-ils pas là pour ça ? »

Après avoir remué un peu les épaules et légèrement tiré sur la manche, il fut heureux de constater que la veste était réparée. Cette fille était douée de ses mains pour ça. Et il devait avouer qu’elle était avenante envers lui malgré son comportement renfrogné. Sa proposition à rester prendre le thé ne le surprit même pas.

« Pourquoi pas. Je n’ai rien de spécial à faire. » Puisqu’il était invité, il se rassit. « Vous êtes la fille du commissaire ? »


@Dorothy Green

Dorothy avait eu vent du caractère de Raphael, surtout parce que son père lui en avait parlé. Mais elle n'aurait jamais imaginé qu'il était réellement désagréable et qu'il prendrait la jeune fille de haut. Certes, ça n'avait pas été l'idée du siècle de lui tomber dessus mais tout de même. Elle ne l'avait pas blessé avec son poids plumes. Aussi, puisqu'il était fâché et voulait qu'on lui recouse sa veste, Dorothy se proposa et sa réponse manqua de lui donner envie de lui gifler. Elle se contenta de sourire doucement en hochant son visage. Bien sur qu'il savait coudre, elle n'était pas empotée comme lui. La réputation du fils Legrand le précédait et Dorothy savait bien qu'il était le genre d'homme à ne savoir rien faire de ses dix et à ouvrir sa grand bouche. Enfin, elle la conduisit à son manoir, s'annonçant en entrant. Raphael était installé dans le salon et Dorothy avait sa veste dans les mains, elle lui présenta des excuses à sa façon avant de lever les yeux vers lui en faisant une moue songeuse.

« Alors... J'aviserais à ce moment là !! »

Puis, elle lui adressa un léger sourire qui voulait bien dire qu'elle n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Personne dans cette ville n'était assez fou pour s'en prendre à la fille du commissaire. Et puis, même si ça ne se voyait pas, Dorothy savait bien qu'il y avait des gens qui la surveillaient. S'ils n'étaient pas engagés par son père, ils l'étaient par Levi. Dorothy ne s'en occupait même pas, faisant sa vie de la même façon que si personne ne la surveillait. Une fois la veste raccommodée, Dorothy aida Raphael à l'enfiler et sourit doucement.

« Parce que quand c'est moi qui fait, je sais que c'est parfaitement fait ! »

Vu qu'il était prêt à retrouver une vie normale après l'accident, Dorothy lui proposa gentiment de rester pour prendre le thé et des biscuits. Sa réponse manqua de faire ronchonner Dorothy, touchée de voir qu'elle n'était qu'une distraction parce que Monsieur Trop Bien Pour Les Autres avait du temps libre. Soupirant légèrement, elle appela un domestique et demanda du thé et des biscuits avant de se rasseoir. Elle pinça légèrement les lèvres dans une moue songeuse et hocha son visage.

« Oui c'est exact. Et vous êtes le fils du propriétaire du chemin de fer. On ne fait que parler de votre venue en ville. Vous affolez les troupes féminines, vous le savez ça ? »

La gouvernante personnelle de Dorothy amena le thé, lançant un regard froid à Raphael avant de le saluer sobrement et poliment. Elle se tourna vers Dorothy, lui murmura quelque chose à l'oreille avant de partir en jetant un dernier coup d’œil méfiant à Raphael. Dorothy se racla la gorge et servit le thé avant d'en tendre une tasse à Raphael en souriant.

« Alors, qu'est ce que vous venez faire à New Haven ? Oh et j'en oublie la politesse. Je m'appelle Dorothy ! »